Published On: sam, Sep 12th, 2015

Nelcya Delanoë, chronique d’une rencontre

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ouiTémoignage de Mustapha Jmahri-_-_
Mot d’hommage de Mustapha Jmahri à Nelcya Delanoë à l’occasion de la rencontre ouverte organisée en son honneur à El Jadida le vendredi 28 août 2015 par la section locale de l’Union des Ecrivains du Maroc en coordination avec le Haut Commissariat des Anciens Résistants et Membres de l’Armé de Libération

Chers amis,
En tant que chercheur en histoire locale, je m’estime très heureux d’avoir pu profiter des conseils de trois grands intellectuels qui ont su m’encourager ou m’encadrer dans mon projet éditorial sur le passé d’El Jadida. Nelcya Delanoë, ici présente, fait partie de ce trio d’intellectuels à côté des deux grands regrettés : l’historien Guy Martinet et le sociologue Abdelkebir Khatibi. Tous les trois avaient un lien effectif ou affectif avec cette cité d’El Jadida-Mazagan.
En ce jour, alors que nous sommes réunis autour de Nelcya Delanoë, je voudrais profiter de cette occasion pour évoquer devant vous, en guise de reconnaissance, quelques souvenirs de ma rencontre avec Nelcya et avec son père.
Nelcya est issue d’une ancienne famille mazaganaise bien connue. Je me rappelle que mon père fut le premier à me parler de cette famille, dans les années soixante du siècle dernier, alors que je n’avais encore qu’une quinzaine d’années. Il me montrait l’imposante villa des Delanoë, à l’angle de la rue Pasteur et de l’avenue Hassan II, en me la désignant comme Dar Tbib Lanuit. Il n’était pas le seul à prononcer le nom de cette façon car presque toute la population locale faisait de même. Mon père avait connu, de son vivant, les Delanoë, au temps du Protectorat. Comme il possédait une sania dans la banlieue, il remarquait que le couple Delanoë, pour faire sa marche hebdomadaire, empruntait la route de l’ancien aérodrome, tout en discutant et, souvent, comme il me l’avait dit, à haute voix. La grand-mère de Nelcya, Eugénie Delanoë et son grand-père, Pierre Delanoë, furent les premiers médecins français qui contribuèrent à l’institution d’une structure sanitaire moderne dans cette cité au tout début du Protectorat. La ville, en guise d’hommage et de reconnaissance, a baptisé deux rues longeant l’hôpital au nom de ses deux médecins.
J’ai fait la connaissance de Nelcya, la première fois, il y a maintenant une trentaine d’années, grâce à son père le Dr Guy Delanoë. Guy Delanoë, né à El Jadida en 1916, était connu surtout pour son rôle à la tête de Conscience Française, un groupement de libéraux français qui ont appuyé le droit à l’indépendance du Maroc. J’avais d’abord échangé quelques courriers avec son père, retraité à l’époque, et qui résidait à Villeneuve-lès-Avignon en France avant de le rencontrer à Rabat puis à El Jadida. Nelcya m’avait alors envoyé un exemplaire dédicacé de son roman autobiographique La Femme de Mazagan accompagné d’une lettre où elle me disait que son père lui avait parlé de moi en des termes sympathiques et elle précisait qu’il était satisfait de nos échanges de correspondance. Elle me précisait aussi que son père était content de découvrir en moi un ami Marocain et Jdidi qui, de surcroît, s’intéressait au passé cosmopolite de sa ville natale.
L’occasion de discuter de vive voix avec Nelcya se présenta en 1989 à El Jadida quand l’Alliance Franco-marocaine organisa une séance de dédicace pour son livre La Femme de Mazagan. J’ai assisté à cette rencontre et j’en ai publié un compte rendu dans le journal Al-Alam auquel je collaborais à l’époque. Lors de ce séjour, Nelcya m’invita à la rencontrer à Oualidia dans la maison familiale. Là, je lui ai parlé de mon projet éditorial et je lui ai montré, par la même occasion, mon premier article dans le mensuel Lamalif (décembre 1987) intitulé El Jadida, histoire d’une ville. On s’est rencontré de nouvelles fois à El Jadida mais également à Paris à deux ou trois reprises. Dans la capitale française, j’ai pu d’ailleurs faire la connaissance de sa mère et de son frère Jean-Yves (actuellement consultant à Lyon).
En tant qu’historienne et professeur d’université, Nelcya avait accumulé beaucoup d’expérience en menant des travaux de première main en histoire nationale et locale. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’elle m’a aidé par ses conseils et ses encouragements à chaque fois que j’en avais besoin. On en a d’ailleurs discuté tous les deux ensemble ou bien avec d’autres amis communs en l’occurrence l’anthropologue Jacques Vignet-Zunz, le professeur de philosophie Jamal Lahbichi, le défunt Michel Amengual et le vétéran journaliste Jean-Pierre Péroncel-Hugoz qui a été à l’origine de l’édition marocaine de La femme de Mazagan chez Eddif. Plus tard, en 2005, je lui ai soumis mon travail sur l’histoire de la communauté juive d’El Jadida qu’elle a accepté de relire et de préfacer. Ce livre a connu quelque succès puisque sa première édition épuisée, une deuxième, revue et augmentée, a vu le jour en 2013.
En 2006, sur invitation de l’Union des Ecrivains du Maroc, Nelcya participa à El Jadida au colloque organisé sur le thème « L’ouverture internationale d’El Jadida ». Elle était en compagnie de l’inoubliable Marie-Louise Belarbi.
Nelcya est restée attachée à l’histoire du Maroc en tant qu’universitaire et écrivaine. Outre ses travaux sus-cités, elle a publié un travail inédit, de mémoire et d’enquête, sur certains soldats marocains de l’Armée française en Indochine qui ont rallié l’armée d’Ho Chi Minh. Cet ouvrage intitulé Poussières d’empires a paru en 2002. Qui d’autre que Nelcya et Abdellah Saaf avec son livre Histoire d’Anh Ma aurait pu aborder ce sujet épineux qui n’était évoqué qu’en catimini depuis les années soixante ?
Si, dans plusieurs de mes livres, j’ai privilégié le témoignage oral comme éclairage nécessaire à la compréhension d’un fait local, c’est parce que Nelcya m’a appris à sortir des sentiers battus et à rechercher la parole enfouie ou niée, celle des petites gens comme des nationalistes et des simples militants.
Je tiens ici, en achevant mon propos, à remercier vivement Nelcya Delanoë, cette dame de Mazagan, qui a cru en l’utilité de mon projet et qui a su m’accompagner dans ma démarche d’historien de notre bonne ville d’El Jadida.

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