Le Maroc, quelque part sur la terre…

Par Christophe Chartreux–
Je parle peu d’écologie, d’environnement, de sauvegarde de la planète qui souffre tant des
maux que l’humain lui impose. J’ai évidemment tort mais ce silence ne signifie pas que les
malheurs de notre Terre m’indiffèrent. Loin de là.
Je vous parlerai donc des paysages qui m’ont fait devenir ce que je suis. Je crois en effet,
j’en suis persuadé même, qu’ils nous modèlent, que les détruire c’est massacrer les humains
invités au festin des couleurs, des parfums, des bruits et des silences.
La chance de ma vie sera d’avoir vécu les années de mon enfance – 1958/1975 – et de mon
adolescence dans un pays baigné par la lumière, bercé par le frisson du vent venu de la mer ou
parfois du sud, du désert brûlant, emportant avec lui quelques milliards de grains de sable
repeignant en ocre les murs blanchis à la chaux, accueillant des rivières de bougainvilliers en
fleurs ou la nonchalance d’un chat à demi ensommeillé de chaleur.
Les couleurs de ce pays sont ceux de mes souvenirs. Celles et ceux qui me lisent ici et
ailleurs savent mon attachement, mon amour infini pour la douceur et la violence de son climat,
pour la beauté des courbes de ses plages caressant l’Atlantique et la Méditerranée, pour ses
contrastes entre villes surpeuplées accueillant riches et pauvres et campagnes faites de terres
avares à rendre ce qu’on leur donne et celles, plus généreuses, offrant le goût des clémentines,
oranges, citrons, olives après avoir enchanté nos narines des parfums mêlés de leurs fleurs au
printemps.
Mon pays, celui de mes souvenirs comme celui présent, mérite à lui-seul que nous autres,
frères humains, nous battions pour lui. Et bien évidemment, pour tous les autres.
Je ne supporterai pas que disparaissent par notre faute, nos égarements, notre appât du gain,
nos inconsciences partagées car je suis aussi coupable que tant d’autres, les dunes, ces océans
immobiles fracassant les rochers du Hoggar. Remplacées peut-être un jour par des villes géantes
aux tours illuminées construites par des femmes et hommes venus tout exprès survivre pour des
salaires de misère mais nourrissant les rêves fous de quelques nababs en mal d’une
reconnaissance frelatée.
Je ne supporterai pas que meurent les Champs d’amandiers illuminant le Rif, la source
bleue de Meski dans la vallée du Ziz, les neiges du Toubkal entre Marrakech et Taroudant, les
grandes forêts de chênes-liège et celles d’eucalyptus dont je cueillais les feuilles en les faisant
siffler serrées entre mes mains ; que disparaissent à jamais les poissons amassés sur les quais des
ports avides des odeurs fortes envahissant l’azur, les hérissons du désert, les caracals, les flamants
rose affamés de crevettes, les scinques et les mangoustes ichneumon, les vipères de l’erg, les
grands-ducs ascalaphe, les oryx algazelle et ce caméléon qui venait au jardin jouer au magicien
par ses couleurs changeantes.
Et puis mon Atlantique, polluée tant et plus, dont j’entends les rouleaux écrasant de sa force
les rives ensablées où mes courses anciennes m’amenaient à plonger et puis à revenir vers la
maison-jardin envahie de mille fleurs aux mille noms oubliés.
Voilà ce que je suis. Paysages, animaux, fleurs et parfums. Massacrer tout cela, c’est me
tuer et nous tuer !
Je n’ai pas dit le nom du pays dont je parle : le Maroc, quelque part sur la terre…
Merci au magazine « Mazagan24 » d’avoir accepté cette publication. Je précise que j’ai vécu à El Jadida de 1961 à 1972. Puis à Casablanca. Une immense partie de mon coeur est toujours à El Jadida, auprès de vous toutes et tous.