L’HOMO MASKUS

Par: Abdelali ErrehouniModifier —
Le masque a volé la vedette au virus ! C’est comme si l’effet l’avait emporté sur la cause pour nous faire oublier, au lieu de nous rappeler, que nous étions en danger. Paradoxalement, nous sommes sortis de l’anxiété pour entrer dans le divertissement. Porter un masque est devenu presque un jeu d’enfant et le masque lui-même est devenu notre jouet. Il nous met en dehors de la vie normale, celle des gens sérieux. L’acte même de l’acheter est- plus qu’une victoire- une jubilation. On s’intéresse beaucoup plus à la matérialité de notre jouet qu’à son utilité. Ça m’a fait un drôle d’effet de le porter aujourd’hui ! Quand j’ai pris connaissance du produit, il m’a paru inapproprié et presque incongru de le mettre sur le nez. L’acheter est déjà un spectacle. Devant la pharmacie où nous étions quelques uns à nous disperser pour faire la queue, un client est revenu à visage découvert pour signifier qu’il n’avait pas d’élastique. Alors les yeux du pharmacien ont souri et lui ont fait comprendre qu’il n’avait qu’à chercher. En effet, l’élastique était bien caché entre les plis de l’objet. Comme je ne portais pas encore de masque, mon sourire m’a trahi. Le client m’a fixé d’un regard viral puis il est parti. Il ne savait pas qu’il venait de me rendre le service de ne pas me comporter comme lui. Quand mon tour est venu, j’ai mis la main sur la bouche et le pharmacien a compris. Alors il m’a mis cinq morceaux de tissu violet dans un sachet. Je me suis éloigné pour porter le premier masque de ma vie. Dans le rétroviseur, je me suis vu ! J’avoue que ne me suis pas pris au sérieux ; je ne me suis senti ni tout à fait moi-même ni tout à fait un autre. J’ai eu l’étrange impression que j’avais changé d’identité. Le jeu est d’autant plus amusant que j’ai rencontré d’autres joueurs, d’autres acteurs, et j’étais devenu à la fois spectateur et objet de spectacle. On se regarde et l’on se dit avec le sourire bien caché « qu’est-ce qu’il est bizarre avec ce truc sur le nez ! » Derrière son masque, on retrouve un peu sa liberté, celle par exemple de ne pas être obligé de sourire quand on n’en a pas envie. On est heureux de pouvoir enfin nous cacher pour mieux nous retrouver tel qu’on est. J’ai comme l’impression qu’une humanité nouvelle vient de voir le jour. J’en ai parlé à mon frère et il n’en était pas moins étonné. L’Homme nouveau est né avec un masque sur le nez, L’ère de l’homo sapiens est révolu. L’Homo Maskus s’est engagé sur le chemin de la vie pour une durée indéterminée ; et j’ose imaginer que le jour où il sera démasqué, on ne le reconnaîtrait plus.
Pensée d’un confiné halluciné
Abdelali ErrehouniModifier
Cet exemple de masque noir est super moderne, là où je vis (en Bretagne), nous n’avons rien du tout, nous somme tous confinés, sauf ceux qui font les courses quand ils ne peuvent se les faire livrer devant leur porte. Sinon, il faut en bricoler un avec les moyens du bord… et j’observe que dans les rues, les passants n’ont pas de masque, et dans les magasins, si les vendeurs ont tous reçu des masques, aucun client n’en porte, mais ils se tiennent tous à plus d’1 mètre de distance, les caissières sont masquées et entourées de plastique transparent pour les protéger, et devant les comptoirs, des cageots ont été scotchés au sol pour obliger les clients à prendre un peu de recul, s’ils n’y pensent pas d’eux-même. Dans les rues, c’est pareil, peu de personnes se sont fabriqué des masques de fortune, mais les distances sont bien respectées ; de temps à autre, une couturière se distingue par un masque en joli tissu coloré, rayé ou à fleurs que les autres admirent à distance ; on se parle de fenêtres à fenêtres, et on applaudit tous à 20 heures mais aussi au passage des éboueurs dont on peut ainsi repérer le circuit de rues en rues selon les jours. Dans l’ensemble les gens font attention et se parlent davantage : ils se retrouvent tous « dans le même bain » et communiquent mieux et avec empathie, modifiant l’ambiance autour d’eux. Est-ce qu’il en restera quelque chose après le -confinement?