Published On: dim, Déc 8th, 2019

Un saint juif à M’tal

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Salomon Assédo

Par Mustapha Jmahri

Salomon Assédo qui aura 100 ans en 2020 reste un homme alerte et sympathique. Cet ancien instituteur à El Jadida est resté très vif d’esprit. Il a été heureux, comme il me l’a dit, de découvrir mes recherches sur El Jadida et de me recevoir chez lui dans la banlieue parisienne. Dès le début de notre rencontre, il m’a rapporté une anecdote amusante. Lors de sa jeunesse à El Jadida, il avait participé à un match de football opposant une équipe d’élèves juifs marocains et une autre d’élèves français, celle du collège de la ville. Francophile et francophone de la première heure, son objectif avait été en effet d’entrer au collège français, et, dès la première année, il fut sélectionné dans l’équipe des élèves, occupant le poste de gardien de but. A la mi-temps de ce match, un de ses amis lui demanda : « Assédo, dis-donc, tu es juif comme nous, laisse-nous marquer un but s’il te plaît ! » Et Salomon de répondre : « Je regrette, ce n’est pas sportif ».

Au-delà de cette anecdote, Salomon a toujours été attaché à son origine juive marocaine en n’oubliant pas que sa langue maternelle est l’arabe dialectal.

Salomon Assédo est né à Azemmour en 1919. Sa famille se composait de huit frères et sœurs. Le grand-père maternel de Salomon était propriétaire terrien près de Chtouka et cultivait du henné destiné principalement à l’exportation. Après sa mort, ses descendants, ruinés par la crise de 1929, perdirent leurs propriétés dont la plus importante fut achetée par un colon français nommé Caffin. Du côté paternel, son grand-père était marchand d’étoffes dans différents souks des Doukkala. La famille a d’abord habité rue du Commandant Lachèze, aujourd’hui avenue Moulay Abdelhafid, puis dans la rue Bensimon. Son père était également marchand de tissus dans les souks de la région, et son frère Habib était mécanicien au garage du Français Quercy.

Salomon Assédo, après avoir obtenu son CEP à Azemmour en 1932, s’inscrivit au collège d’El Jadida où il eut comme camarade de classe Abderrahmane Khatib, qui deviendra plus tard ministre de l’Intérieur au Maroc. Il eut comme professeurs : Mme Planas, Ardonceau, professeur de sciences et Lhuisset, professeur de maths. Après le collège, il devint instituteur à El Jadida en 1942 à l’école des filles de derb Hejjar. Il a également exercé dans d’autres villes : Oued-Zem, Casablanca et Tiznit, où il est resté quatre ans dans une école disposant de deux classes, dont l’une, pour les petits, était confiée à son épouse Marcelle. Il a aussi eu l’occasion de travailler dans le privé, en 1943 et 1944, comme comptable au siège de la Société Générale, avenue Mohammed V à Casablanca.

Salomon a fait également un passage dans l’administration du Protectorat. En effet, celle-ci fit appel à lui pour remplacer le régisseur-comptable du Contrôle Civil de sidi Bennour (70 km d’El Jadida) ; c’était au temps du contrôleur civil Husson, mais là Salomon n’est pas très sûr de ce nom. C’est là que notre ami s’est intéressé à un petit moussem juif qui se tenait près de la commune rurale de M’tal (30 km de sidi Bennour). Les pèlerins accédaient par une piste pour arriver à un endroit dit « Rabbi Aaron » où, selon la tradition, avait été enterré le saint, le Rabbi Aaron Cohen. Sur place, il n’y avait aucune tombe apparente, mais uniquement un emplacement vénéré, matérialisé par des pierres et entouré de quelques arbustes. A la hiloula (pèlerinage sur la tombe de saints personnages) les Juifs de Safi, d’Azemmour et d’El Jadida venaient y passer une dizaine de jours. Le transport se faisait en car ou en voiture jusqu’à M’tal, puis les chevaux, ânes ou mulets emmenaient les pèlerins sur la piste conduisant au moussem. Au niveau régional, Salomon n’a pu obtenir d’autres informations sur l’histoire de ce saint.

            Pendant trois heures, Salomon, tout en fumant sa pipe, me parla de ses souvenirs d’Azemmour, d’El Jadida, de Casablanca et d’autres villes du Maroc où il avait exercé. Des moments heureux et d’autres moins. Comme cet épisode regrettable concernant son épouse qui était directrice d’un important établissement d’enseignement public marocain à Casablanca. En ce temps-là, le délégué de l’Education nationale était Si Mohammed Chiadmi, un Mazaganais que Salomon avait connu quelques décennies auparavant et avec lequel le couple entretenait d’excellentes relations. Le 11 juin 1967, le journal al-Alam publia un article qui, sans mentionner ses sources, rapportait « des propos calomnieux et injustifiés, non seulement sur les compétences professionnelles de Marcelle Assédo mais aussi sur sa propre personne ». Salomon affirme que l’information était bien sûr dénuée de tout fondement. Marcelle reçut de nombreux soutiens, celui du Délégué, ceux de la majorité des collègues du corps enseignant et de bien d’autres personnes. Malgré cela, étant donné la conjoncture de l’époque (cela coïncidait avec la guerre au Moyen-Orient), il décida à contre-cœur de quitter son pays pour aller vers la France. Il a vécu ce départ forcé comme un grand déchirement pour lui et pour sa famille. D’autant plus qu’il se considère toujours comme marocain et qu’il avait même appartenu au parti de l’Istiqlal quand il exerçait à Casablanca.

Avant que je ne le quitte, Salomon a tenu à m’expliquer pourquoi ses quatre pipes posées devant lui avaient chacune une pose différente et une utilisation précise. En fait, m’a-t-il dit, il existe une dizaine de formes de pipes et chacune a ses avantages et ses inconvénients, tout comme pour le tabac.  Je garde de lui le souvenir d’un homme très attachant, toujours prêt à partager avec son visiteur son important florilège de grandes et petites histoires personnelles.

jmahrim@yahoo.fr

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Displaying 2 Comments
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  1. Amiel dit :

    Très émouvant. Santé longtemps à Mr Assedo

  2. Quel plaisir de lire ce témoignage sur une aussi belle personne.J’ai eu un oncle grand fumeur de pipes lui aussi qui avait un tempérament ouvert à la vie et qui en appréciait chaque facette comme ce monsieur que je respecte infiniment. Lorsque je suis revenue vers 2010 au Maroc de mon adolescence entre 1952 et 56, j’ai fait un libre périple entre El Jadida, Azemour, Tlemcen, Meknes et je me souviens de ces tombes simples et isolées près d’un seul arbre pour marquer la mémoire et méditer. Merci pour tous ces chers souvenirs.

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