Mustapha Jmahri, historien d’El Jadida
Christian Feucher (écrivain)
Lors de la rédaction de mon ouvrage « Mazagan (1514-1956) », j’ignorais l’ampleur de l’œuvre de l’écrivain marocain Mustapha Jmahri, historien de la ville d’El Jadida, découvreur de son passé, chroniqueur de ses racines. À l’occasion de mes voyages au Maroc, que je mets pourtant systématiquement à profit pour visiter ses plus grandes librairies, à Rabat, Casablanca ou Marrakech, je n’avais pu en effet me procurer que deux de ses livres, cités dans la bibliographie de mon ouvrage.
C’est le lot de tous les écrivains : aux affres de l’écriture, viennent s’ajouter, alors que le manuscrit est achevé, la difficulté d’être édité et la déception de constater que son ouvrage est si peu présent, si peu longtemps, dans les rayons des librairies. Les obstacles que rencontre l’auteur pour atteindre son public constituent pour les lecteurs, spontanément intéressés par la matière traitée ou amateurs de culture générale, autant de freins pour accéder aux écrits.
C’est après la publication de mon livre, à l’été 2011, grâce aux contacts suscités par sa diffusion, que j’ai eu connaissance de l’ensemble de l’œuvre de Mustapha Jmahri et pu me procurer la plupart de ses Cahiers d’El Jadida (certains sont introuvables, leur tirage étant épuisé). J’ai alors été impressionné par l’ampleur de ses recherches, la précision de ses informations et la clarté des exposés qu’il a consacrés à l’histoire de cette ville. C’est manifestement l’œuvre d’un brillant historien. Aussi, je regrette que ses ouvrages, qui pourtant le mériteraient, ne soient pas davantage distribués au Maroc et mieux répertoriés et diffusés en France. Les ayant connus avant de me lancer dans la rédaction de celui que j’ai écrit, sans doute aurais-je rédigé différemment certains de ses chapitres.
Dans mon livre, petite et grande Histoire se mêlent, s’entrecroisent, s’éclairent mutuellement, je l’espère du moins. En cela mon propos a visé, certes avec une tonalité différente, le même objectif que celui poursuivi par Mustapha Jmahri dans ses ouvrages sur El Jadida. Comme les siens – surtout ses premiers écrits -, mon livre est le fruit de recherches dans les archives des bibliothèques et des ministères, de recueils d’informations dispersées dans les chroniques des auteurs anciens ou les journaux « de l’époque », de rapprochements de faits signalés, ici et là, dans les relations de voyageurs ou les rapports de diplomates.
Mais Mustapha Jmahri, par ses publications les plus récentes, a souhaité donner une autre dimension à son travail. Avant que leur mémoire ne disparaisse, il a recherché la trace des acteurs de l’histoire – petite ou grande – de Mazagan, ceux qui y ont construit leur vie et ont contribué à forger, chacun à sa manière, le visage collectif de la ville et de sa région. Il a recueilli leurs témoignages, les a rassemblés, et a synthétisé dans de longues introductions les informations qu’ils contiennent et les conclusions qui méritent d’en être tirées.
« Souvenirs marocains. El Jadida au temps du Protectorat » et, plus récemment. « Une vie de colon à Mazagan » participent de ce travail de mémoire. Ce sont des livres d’une grande richesse. En donnant la parole aux Marocains d’El Jadida, particulièrement à ceux, syndicalistes ou non, qui ont œuvré pour l’indépendance du Maroc, puis aux « colons », si attachés à la terre qu’ils avaient mis tant de temps à mettre en valeur, Mustapha Jmahri apporte des éclairages nouveaux sur la période du Protectorat, les sources dont on disposait étant, au sujet des premiers comme des seconds, souvent très partielles, parfois très partiales.
Sur le passé d’El Jadida, Mustapha Jmahri apporte ainsi aux lecteurs d’aujourd’hui et aux historiens de demain, des matériaux nouveaux de connaissance.
Christian Feucher (natif d’El Jadida)
Historien
Auteur de Mazagan (1514-1956) et Ali Bey