Published On: dim, Mai 10th, 2015

Fouad Laroui cet ami qui vient de loin

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Par Mustapha Jmahri  ( Ecrivain )-_-laroui 10.5.15

Ce matin (dimanche 10 mai 2015) à El Jadida j’ai rencontré mon ami d’enfance l’écrivain Fouad Laroui avant son départ pour Casablanca. Pendant une petite demi-heure on a évoqué notre passé à El Jadida puis la culture et la littérature. Il m’a longuement encouragé à continuer à écrire sur l’histoire locale de notre ville El Jadida. Voici mes souvenirs d’enfance sur cet ami installé aujourd’hui aux Pays-Bas.

I

Lorsque Maître Ahmed Magid Benjelloun a écrit en 1996, dans sa Chronique régulière dans le journal Le Matin du Sahara, sous le titre « Calomnies gratuites », ses critiques sur l’écrivain Fouad Laroui, je suis resté quelque peu perplexe. Non pas sur la teneur de ces critiques (je n’avais pas encore lu, à ce moment, de texte de Fouad Laroui) mais parce que je n’arrivais pas à faire le lien entre l’homme dont parlait Le Matin et un autre homonyme que j’avais fréquenté au temps de mon enfance, à El Jadida dans les années 1960. J’avais complètement perdu de vue, depuis plus de trente ans, ce garçon que j’avais connu élève au primaire.

C’était en 1967 ou 68, Fouad avait alors une dizaine d’années et moi une quinzaine. Il était élève de l’école française Jean Charcot, et moi, produit de l’école publique marocaine, j’entrais au collège Chouaïb Doukkali, nouvellement bâti.

A El Jadida, à cette époque, les distractions, pour les jeunes de notre âge et de notre milieu, étaient naturelles et toutes simples : promenades en centre-ville, plage en été, lecture de bandes dessinées, séances de cinéma chez Mme Dufour si, et seulement si, on parvenait à dénicher 1.20 Dh, le prix d’une place de seconde.

C’est justement par le biais de la lecture de bandes dessinées françaises comme Blek Le Rock, Tintin et Zembla, que, avec mon collègue M’barek Bidaki, élève alors au collège Mohamed Rafy, nous avons connu Fouad Laroui, qui était comme nous, (sinon bien plus), accro à la lecture de cette littérature attractive. Dans notre petit groupe, figurait le frère aîné de Fouad et deux Français dont Thierry Munoz, son ami intime. Nous avions en commun, l’insouciance de l’enfance et l’amour, sans bornes, des bandes dessinées. Ce qui pouvait nous différencier, par contre, c’était que nous, les enfants d’origine modeste, ne pouvions entrer à l’école Charcot.

A cette belle époque des années 1960, et je souligne l’adjectif « belle », car c’est le sexagénaire qui témoigne aujourd’hui, nous avions, la chance d’appartenir à l’école publique marocaine d’après l’Indépendance, une école dont la mission était hautement appréciée. Avec mon collègue M’barek, quand nous n’avions pas classe, nous venions, à pied, de la proche banlieue de la ville, passant par les villas du quartier Plateau, occupées presque exclusivement par des familles européennes, dont les enfants étaient nos amis. Nous bavardions avec eux et ça nous permettait d’améliorer notre français. Puis, continuant notre chemin, nous longions l’avenue Chouaib Doukkali, sur toute sa longueur, vers le quartier animé de Lalla Zahra pour arriver, enfin, à la maison de Fouad, juste en face des bureaux des adouls à quelques mètres du Palais de la justice.

On frappait à la porte de la maison qui s’ouvrait sur un escalier montant au premier étage. Fouad jetait un coup d’œil furtif de sa fenêtre et descendait doucement les marches avec, à la main, une pile de bandes dessinées à échanger. Petit de taille, frêle, il était débordant de gentillesse. Il portait des petites lunettes. A une dizaine de pas de chez lui, à l’angle de la rue Bizerte, il y avait la boutique de feu Tanjaoui, alias Papillon, marchand de vieux bouquins et bandes dessinées, chez qui Fouad s’approvisionnait régulièrement. Dans cette caverne d’Ali Baba, il n’avait que l’embarras du choix. A chaque échange, nous commentions ensemble les histoires dont on avait achevé la lecture et nous nous expliquions les mots difficiles des dialogues. Fouad remarquait que certains amis de sa classe se contentaient de regarder les images et il le déplorait, car ainsi, disait-il, ils ne comprenaient pas vraiment l’histoire. C’était une remarque intelligente pour un enfant de dix ans, sans doute en avance pour son âge.

Quelquefois, quand il allait rendre visite à ses amis français du quartier Plateau, Fouad nous proposait de l’accompagner en chemin. Il prenait grand soin de sa tenue avant de sortir seul ou avec son frère aîné Youssef. Parfois, aussi, sa sœur Nadia les accompagnât.

   II

 Notre relation, avec Fouad et son ami Thierry, était simple et fructueuse à souhait, avec cette soif de savoir et cette envie d’apprendre qui nous animait tous. Pour moi et M’barek, c’était aussi, l’occasion de parler en français, langue que nous n’utilisions pas assez fréquemment dans nos écoles publiques. Et je voudrais ici ouvrir une parenthèse pour souligner, qu’à l’époque un élève du CM2 pouvait se faire comprendre en cette langue sans passer, nécessairement, par les bancs de l’école de la Mission française. A ce propos, voici une anecdote : un certain printemps de l’année 1965 ou 66, c’était la fête des cerfs-volants sur le terrain de l’ancien aérodrome d’El Jadida, se trouvant à proximité de notre quartier. Nous nous étions approchés d’une dame française qui lâchait dans le ciel son cerf-volant multicolore. Nous l’entourions, joyeux, et nous suivions l’ascension zigzagante du jouet dans les nuages. Nous connaissions cette dame, puisqu’elle résidait dans une villa de l’avenue Chouaïb Doukkali, devant laquelle nous passions avec Fouad en allant vers le Plateau. Souvent, elle nous faisait un signe amical de la main. Au premier regard, la dame s’aperçut que nous étions les enfants de la banlieue rurale. Mais, quelque chose l’intriguait : comment, n’étant pas élèves de l’école Charcot, arrivions-nous à communiquer en français sans difficulté ? Elle attribua cet avantage à la qualité de nos instituteurs marocains, et nous demanda le nom de notre maître de français. Nous lui répondîmes que c’était un certain M. Lahlou. Elle loua, celui qu’elle appela M. « Lalou » de tous les éloges du monde pour l’efficacité de son travail. Puis, elle nous demanda nos prénoms. C’était facile, pour elle, de répéter le mien, Mustapha, prénom célèbre, à l’époque, grâce à la chanson alors en vogue « Mostafa ya Mostafa », mais pour M’barek, nous lui avons conseillé de prononcer simplement « Parc ». La dame, surprise, s’exclama : « Parc ? Parc ? » Et tous ensembles, nous nous mîmes à rire de bon cœur.

De père Azemmouri et de mère originaire d’Essaouira, Fouad était né pourtant à Oujda, moi à Casablanca et M’barek à Sidi Bennour. Personne ne choisit le lieu de sa naissance. Comme d’ailleurs ces deux autres Jdidis, Abdelkébir Khatibi et Driss Chraïbi, dont les parents étaient fassis de pure souche et qui formaient avec Fouad les trois célèbres Jdidis de la littérature marocaine.

Le père de Fouad, petit fonctionnaire des PTT, exerça dans plusieurs villes dont Oujda. Personnellement, je ne l’ai aperçu qu’une seule fois. On croyait d’ailleurs Fouad, orphelin. Je ne savais pas pourquoi son père n’était pas très présent. Puis il disparut à jamais. Personne ne sait comment, pas même Fouad, son fils. Dans un « Portrait » publié dans le journal arabophone Ahdat Maghribia, Fouad se rappelle le jour de sa disparition (c’était le 17 avril 1969), et le journal d’ajouter que c’était lors des « années de plomb ». À l’époque, nous, les jeunes du quartier, n’avions su qu’une chose : l’homme était parti sans laisser de traces. Certains disaient qu’il avait été fauché par un train à Marrakech au moment où il tentait de sauver un chaton endormi sur les rails. Légende ou vérité, mystère…

En septembre 1970, je quittai El Jadida pour rejoindre le lycée Imam Malik, à Casablanca, comme élève interne. Mon ami M’barek rejoignit plus tard le même lycée, alors que Fouad, que nous avions perdu de vue, entra au lycée Lyautey de Casablanca.

III

A la fin des années 1990, nous prîmes connaissance des articles de Fouad dans le magazine parisien Jeune Afrique, mais sa photo d’adulte dans la revue ne nous disait rien. Seul son air tendre et jovial nous rappelait quelque chose qui lui était propre. Nous décidâmes alors, M’barek et moi, de lui écrire une lettre à Jeune Afrique en France. Postée d’El Jadida le 13 juillet 1999, la lettre mit plus de deux mois pour arriver à destination, non pas en France, mais en Hollande où Fouad enseignait l’économie à l’université. Nous reçûmes sa réponse d’Amsterdam, datée du 22 septembre 1999. Il se souvenait parfaitement de nous, comme quoi les souvenirs d’enfance ne s’oublient jamais. Voici ce qu’il nous a écrit :

Chers amis,

Après beaucoup de péripéties, j’ai fini par recevoir votre lettre qui m’a fait vraiment plaisir. C’était, comme on dit, le bon temps ou du moins le temps de l’enfance, de l’innocence. Je ne sais pas du tout ce qu’est devenu Thierry Munoz, mais je me souviens de vous et de l’échange des BD.

Je vois que vous êtes revenus à El Jadida, ce qui me remplit de nostalgie car d’une certaine façon c’est là que sont mes « racines« . Un jour je ferais peut-être comme Driss Chraïbi et je viendrais de nouveau m’y installer. Qui sait ? En attendant je vis à Amsterdam, tout en gardant le contact avec le Maroc. Parfois c’est difficile : en ce moment, il y a une petite campagne de presse contre moi (dans Maroc-Hebdo, l’Opinion, etc) sous prétexte de propos que j’aurais tenus à TV5, mais qui ont, en fait, été déformés et sortis de leur contexte. C’est la vie ! Quand on a une petite notoriété, il faut faire très attention à ce qu’on dit… Bon, tout cela se calmera vite.

Je vois que l’un de vous a étudié le journalisme. Moi j’y suis venu par hasard : le patron de «Jeune Afrique », Béchir Ben Yahmed, m’a téléphoné après la parution de mon premier roman (à l’époque j’habitais en Angleterre) pour me demander des articles de temps en temps. Je le fais, mais je considère qu’il faut laisser cela à ceux qui l’ont dans le sang, pour qui c’est une vocation. C’est pourquoi je ne considère pas « Jeune Afrique » comme mon activité principale. En tous cas, merci pour votre lettre et bon courage !

Très amicalement. Fouad Laroui.

 Après presque une quarantaine d’années, l’occasion de retrouvailles avec Fouad, en chair et en os, se présenta, par hasard, en 2007, à l’hôtel Ibis d’El Jadida. Très brièvement, nous avons évoqué le présent mais beaucoup le passé. Curieusement ou miraculeusement, la problématique du passé est toujours entière. Elle reste aussi emblématique au niveau de la réflexion et de la création. Driss Chraïbi n’avait-il pas soulevé un tollé en 1954 avec Le passé simple et Abdelkébir Khatibi n’a-t-il pas réveillé de vieux démons, en 1971, avec La mémoire tatouée ? Mais est-il nécessaire de rappeler que l’histoire des hommes comme celle des pays est ainsi faite : le passé c’est notre mémoire d’hier …… et de demain.

jmahrim@yahoo.fr

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  1. laroui rkia dit :

    Bonjour Monsieur Jmahri ,

    Je viens de tomber par hasard sur votre article ,consacré à vos retrouvailles avec un de vos copains d’enfance ,mon frère Fouad Laroui.
    Je ne sais pas si nous avons eu l’occasion de nous voir j’étais déjà interne au lycée Lyautey ou Fouad m’a rejointe en 1970.
    Je suis très surprise de ce que vous dites sur mon père le regretté Si Abdelmaleck Laroui.
    Tout d’abord ce n’était pas un « petit fonctionnaire  » né en 1917 ce petit fils du caid Abdellah Laroui était instruit et cultivé et avait été un des premiers marocains a étre entré dans l’administration française ,à Agadir .
    il menait avec ma mére Meriama Chebani-soeur du célébre psychiatre-et qu’il avait choisie pour son instruction et avec qui il menait là une vie heureuse et très moderne.
    A la suite de divers soucis ,sa famille lui a demandé de revenir vivre prés d’eux et c’est ainsi qu’El Jadida et méme la maison a été choisie par eux et en toute obligeance par notre cousin Ahmed el Aroui dit ould Caid Errha.
    Mais nous étions habitués à de beaux appartements et méme une villa à Oujda ou est né Fouad.
    Si vous aviez connu mon père ,vous n’auriez jamais pu l’oublier.
    C’était un bel homme ,méme aux yeux d’un jeune garçon ,toujours élégant et rasé de frais.
    Il en imposait ,comme son frère cadet ,l’écrivain Abdellah Laroui.
    Par ailleurs son avenir c’était ses enfants ,qu’il voulait voir tous à l’université ,garçons comme filles ,ce vœu a été exaucé ,aussi parce qu’il nous a laissé les économies de toute une vie et méme exaucé au delà de ses souhaits.
    Dommage qu’il n’ait pas été là pour y assister ,

    Sincères salutations,
    Rkia Laroui

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