Published On: lun, Mar 10th, 2014

Entretien avec Dr Boumediene Tanouti, président de l’Université Chouaib Doukkali

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 Par Abdelkader Belcadi-_-tanouti

 Dr Boumediane :«Nous avons arrimé notre système universitaire à l’international»

Bonjour monsieur Boumédiane,  Pouvez-vous nous faire une évaluation de la réforme universitaire actuelle ?
–  Je pense qu’une évaluation objective de la réforme depuis sa mise en application en 2003 ne peut venir que d’une instance indépendante et il faut attendre la rentrée effective de l’Agence nationale d’évaluation pour avoir une vision claire et complète des réalisations et des dysfonctionnements. Je peux cependant vous donner quelques éléments de repère en tant qu’enseignant-chercheur dans un premier temps et en tant que responsable de l’Université dans un deuxième temps.
Incontestablement, l’instauration du système LMD au Maroc est un élément de progrès majeur apporté par la réforme. Ce système a permis d’arrimer notre système universitaire très rapidement à une tendance internationale qui vise l’homogénéisation des cursus universitaires. Vous pouvez imaginer facilement les bénéfices de ce changement en termes de mobilité des étudiants et de reconnaissance mutuelle des diplômes qui est un apport inestimable à l’employabilité des lauréats de l’Université et à la modernisation de l’économie nationale.
L’autre apport positif de la réforme, c’est qu’elle a renforcé l’autonomie pédagogique de l’université. Aujourd’hui, l’université peut moduler et façonner son offre de formation et l’adapter aux besoins de la région ou à toute autre niche d’innovation qu’elle identifie. Les retombées de cette autonomie pédagogique sont évidentes puisque l’université devient un véritable acteur de l’économie régionale.
On peut ajouter à ces deux aspects d’ordre structurel, que pour l’étudiant, qui est l’élément central de la réforme, le système modulaire lui donne la possibilité de capitaliser les acquis à tout moment et ça c’est une avancée certaine, puisque contrairement au système précèdent, où un étudiant pouvait passer des années à l’université et la quitter sans aucun acquis à faire valoir, le système actuel lui permet de capitaliser les modules validés et les présenter pour une éventuelle réorientation ou une recherche d’emploi.

Quelles sont les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de la réforme ?
La principale difficulté, me semble-t-il, c’est que la réforme n’a pas été accompagnée dès le début par des moyens adaptés. Je veux parler des moyens financiers bien sûr, mais aussi des moyens humains.
En effet, le passage au système LMD impliquait de façon automatique une augmentation des charges pédagogiques et administratives pour les personnels de l’université. Car le système est basé sur un encadrement de proximité et exige, de facto, la répartition des étudiants en petits groupes. Ceci a démultiplié la charge horaire des enseignants chercheurs.
Quand on ajoute à cette innovation pédagogique, un système d’évaluation basé sur le contrôle continu, vous pouvez imaginer l’effort fourni par les enseignants-chercheurs pour assurer l’encadrement pédagogique et l’évaluation de flux d’étudiants en constante augmentation.
La gestion du système a, également, connu une complexité très grande par rapport à l’ancien système. Pour illustrer cette complexité, il suffit d’imaginer qu’un étudiant dans l’ancien système s’inscrivait une fois en début d’année universitaire, à la fin de l’année il est déclaré admis au niveau supérieur ou invité à refaire son année s’il n’a pas la moyenne. Le système actuel exige une inscription administrative annuelle et une inscription pédagogique semestrielle.
L’étudiant qui ne valide pas tous ses modules est obligé de s’inscrire à deux niveaux différents avec tout ce que cela comporte comme difficultés de gérer sa progression pédagogique et d’établir les listes des étudiants par module et les emplois du temps pour éviter les chevauchements de niveaux, etc.. Il y a eu, en 2009, un effort important de la part de l’État dans le cadre du programme d’urgence pour rattraper les retards cumulés en termes d’infrastructures et de ressources humaines. Et de fait, cet apport de moyens a permis aux universités de faire face aux augmentations brutales d’effectifs survenus en 2010, 2011 et 2012.

Où en êtes-vous par rapport à l’autonomie de l’université ?
Indéniablement, la réforme a renforcé l’autonomie de l’université sur le plan pédagogique. Les enseignants-chercheurs détiennent aujourd’hui une grande latitude pour créer des filières qui répondent aux besoins spécifiques de chaque région d’implantation de l’université. Ils détiennent aussi toutes les prérogatives pédagogiques en termes de pratiques pédagogiques, de méthodes didactiques d’enseignement et d’évaluation. Bien entendu, l’État assure toujours la coordination et détient, par le biais de la Commission nationale de coordination de l’enseignement supérieur (CNACES), les prérogatives d’attribuer les accréditations des filières d’enseignement dans le cas des filières nationales.
Et je trouve, personnellement, que cette situation est tout à fait légitime pour qu’il n’y ait pas de dérive dans la qualité et le niveau des diplômes nationaux délivrés au Maroc. Bien entendu, il faut avancer maintenant vers la création d’une Agence complément autonome qui se chargera à l’avenir de garantir la qualité des diplômes délivrés.

Est-ce que les universités sont armées pour une charge aussi lourde et complexe ?
Je crains qu’en l’état actuel des choses, la réponse soit non. Par conséquent, nous avons encore beaucoup de travail à faire pour préparer les universités à cette échéance et notamment un travail de concertation et de discussion avec les partenaires sociaux.
Pour l’autonomie financière, l’expérience du programme d’urgence a été très formatrice en introduisant un système de contractualisation où l’université s’engage sur un certain nombre d’activités et d’objectifs chiffrés en contrepartie des moyens que l’état lui octroie. Là aussi, il faut capitaliser sur cette expérience et tenir compte des dysfonctionnements qui sont apparus pour améliorer le système et travailler surtout sur les mécanismes qui permettraient à l’université de disposer de ressources propres suffisantes.


Coordination entre l’université et l’Académie régionale

La coordination existe, elle peut mieux fonctionner à mon avis si on se dote d’une structure permanente qui permettrait de pérenniser les actions.
Il faudrait doter l’université d’une structure permanente pour pérenniser les actions et travailler ainsi sur 3 niveaux :
L’orientation et l’information au niveau de la deuxième année du baccalauréat afin de gérer la sensibilisation, l’information et l’orientation du futur bachelier de façon à lui éviter les erreurs de choix qui peuvent coûter très cher. L’élaboration commune de filières d’enseignement.
L’expérience des professeurs du secondaire, des inspecteurs et des Centres régionaux des métiers de l’éducation est précieuse pour le montage et la réalisation de ce type de formation qui sont très demandés aussi bien au niveau du public que du privé.
La question de la maîtrise de la langue d’enseignement intervient également. C’est une question nationale avec des impacts négatifs très lourds en matière de rendement interne et en termes d’abandon en première année universitaire.
La maîtrise insuffisante de la langue française pour les filières scientifiques est la cause principale d’abandon des études au niveau de la première année de l’enseignement supérieur. Il est clair que cette plaie doit être prise à bras-le-corps conjointement par l’enseignement secondaire qui est le pourvoyeur et l’université qui est le réceptacle de cette problématique.

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