Disparition de Brahim Esslaigui restaurateur et conteur

Par Mustapha Jmahri
Quelques jours à peine, en début de ce mois de décembre, je lui ai téléphoné pour m’enquérir de son état de santé, il m’a répondu avec sérénité : « Toute chose qui vient de Dieu est la bienvenue ». Lui c’est Brahim Esslaigui ou « Si Brahim », l’un des plus anciens restaurateurs d’El Jadida, décédé mardi 22 décembre 2020 à la suite d’une longue maladie. Le défunt a passé plus d’un demi-siècle dans la restauration dont une quarantaine d’années au restaurant Le Relais dont il était le gérant. Dans ce métier difficile, le défunt a gravi tous les échelons pour devenir chef puis gérant du Relais au km 26 sur la route d’El Jadida vers Oualidia.
Mais Brahim n’était pas seulement un restaurateur, c’était aussi un conteur du passé. Un nostalgique d’El Jadida, la cosmopolite. Il racontait, par cœur, l’histoire du « Relais », établissement créé en 1927 et qui a vu se succéder plusieurs propriétaires et gérants. Et à chaque fois que l’occasion le permettait, il racontait la petite histoire des anciens de Mazagan. Il vous disait, avec un petit pincement au cœur, qui était ici, qui était là et qui a fait quoi. Il se faisait un devoir de vous aider à retrouver un nom oublié, un ami perdu de vue, une adresse dans la médina ou autres renseignements dont vous aviez besoin. D’ailleurs, il se faisait un plaisir de recevoir les différentes délégations des Mazaganais à chaque pèlerinage à leur ville natale.
Brahim était aussi un lecteur assidu de l’histoire d’El Jadida. À ce sujet, je voudrais apporter un témoignage personnel. Depuis les débuts des années 90, Si Brahim suivait mon travail éditorial sur l’histoire de la cité et lisait tous mes livres. Non seulement, il disposait de l’ensemble de la série des « cahiers d’El Jadida », mais, en certaines occasions, il me demandait des exemplaires de livres qu’il offrait à certaines personnalités de passage dans son restaurant. D’habitude, je l’informais de la publication des titres, mais alors qu’une fois je me trouvais en voyage et que j’avais omis de l’en informer, le défunt, en finissant ses courses un matin au marché souk Lekdim où il se ravitaillait, avait fait une tournée dans les parages du souk et, en passant devant la vitrine de la libraire Al-Amal, il remarqua le dernier titre et en fit l’acquisition. De retour chez lui il m’en fit part sous la forme d’un petit reproche. Je suppose que ce côté de sa personnalité n’est pas connu ou, tout au moins, pas assez.
L’hôtel-restaurant Le Relais, où il officiait, a été créé en 1927 au km 26 au-delà de Jorf Lasfar, au bord de la mer. Créé probablement par d’anciens colons de la côte maraîchère de l’Oulja, il fut acheté par Caledonio Zanca, en 1964 à un français nommé Monsieur Guittard. C’est à partir de là que l’endroit fut appelé communément le « restaurant Zanca ».
Caledonio Zanca, d’origine italienne, est né au Maroc à Dar Bouazza en 1914. Il était, au départ, entrepreneur à El Jadida. Rencontrant certaines difficultés de gestion, il a décidé alors de cesser son entreprise pour expérimenter un autre domaine d’activités, celui de la restauration. Il a gardé le même personnel qui avait été formé par les anciens propriétaires dont un serveur remarquable, Esslaigui, qui n’est autre que le frère aîné de feu Brahim Esslaigui. On pourrait donc dire que Brahim, a passé toute sa vie dans cet établissement puisqu’il l’a rejoint alors qu’il avait tout juste une quinzaine d’années.
En 1994, Caledonio Zanca a fait un AVC et ne pouvait plus continuer à s’occuper du Relais. Ce fut donc sa fille, Suzanne, et son époux, Yves Gicquel, qui se sont occupé de la gestion de l’établissement. M. Gicquel, ancien professeur au collège Chouaïb Doukkali à El Jadida, avait regagné la Réunion en 1972 mais, après avoir pris sa retraite en 1993, il retourna au Maroc.
La gestion du Relais continua de cette façon. Mais après le décès du propriétaire, sa famille vendit l’établissement en 2007 au jdidi Abdellah Samir, qui a confié la gérance à feu Brahim Esslaigui.
En vrai Doukkali, Brahim gardait exprès avec fierté une moustache broussailleuse pour montrer qu’il était l’un des plus anciens chefs-restaurateurs de la Région…Que Dieu ait son âme.
jmahrim@yahoo.fr