Propositions à notre ami Fouad Laroui membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement
Par Mustapha Jmahri et M’barek Bidaki
Nous sommes heureux d’apprendre que le romancier et scientifique Fouad Laroui, qui fut notre ami d’enfance dans les années 1960 à El Jadida, a été nommé par SM Mohammed VI membre de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement le 12 décembre 2019. Nous en sommes heureux et nous nous réjouissons de cette décision pour plusieurs raisons : on connaît sa compétence, son savoir encyclopédique et aussi son goût pour le travail et le progrès. Notre ami Fouad a acquis une grande expérience dans la vie active au Maroc et en Europe d’abord en tant qu’ingénieur à l’OCP, puis comme écrivain-journaliste en France, chercheur-analyste pour de grandes institutions et professeur universitaire à la Faculté des Sciences humaines à l’Université d’Amsterdam.
Et c’est au nom de cette amitié et dans le cadre des échanges lancés par cette Commission que nous voudrions apporter, par son intermédiaire, le point de vue de deux administrateurs à la retraite qui ont cumulé plus de trente ans d’expérience dans deux villes différentes et dans quatre administrations différentes. A notre humble avis, il faut d’emblée se poser la question suivante : notre administration sera-t-elle à la hauteur de ce travail tant attendu et saura-t-elle consentir aux sacrifices nécessaires pour réussir un modèle de développement qui soit à même de sortir notre pays de sa léthargie ? Nous avons une administration certes mais elle est « absente » dans le vrai sens du terme. C’est un peu comme une belle voiture confiée à un mauvais chauffeur qui ne peut donc vous conduire à temps et dans de bonnes conditions.
L’administration, qui devra appliquer sur le terrain et au quotidien les directives du modèle de développement, souffre pour l’heure de beaucoup de faiblesses. C’est une administration qui engloutit d’importants budgets en salaires pour des fonctions qui, en majorité, n’apportent aucune valeur ajoutée. Observons, par exemple, l’assiduité des fonctionnaires et on verra que beaucoup d’administrations ne fonctionnent réellement qu’à partir de 10 heures au lieu de 8h. L’après-midi les bureaux sont vides avant 16h. Ce laisser-aller a fait qu’elle est devenue une niche pour les fantômes, les semi-fantômes, les absentéistes impénitents, les maladifs chroniques et autres bras-cassés. Ne parlons pas de cette catégorie supposée de cadres qui n’ont aucune compétence pour encadrer quoi que ce soit malgré leurs diplômes, et ne parlons pas de certains fonctionnaires qui ont cumulé des années de travail et qui n’ont pas honte de répondre à un usager : « Moi je ne sais pas, attendez mon collègue qui va arriver ».
Ainsi, le discours actuel pour encourager les compétences à intégrer et revaloriser l’administration mérite d’être soutenu par des actions concrètes et non par des vœux pieux. Nous dirions, selon notre propre vécu, que les personnes compétentes étaient souvent marginalisées par tous les moyens non seulement pour les écarter des responsabilités mais aussi pour les empêcher de travailler consciencieusement. C’est pourquoi une vraie réforme est nécessaire même si nous craignions qu’elle soit presque impossible à court terme, car l’administration bureaucratique ne va pas applaudir à la réforme, au contraire elle se défendra contre tout ce qui bouleverserait les mauvaises habitudes acquises.
Pour résumer notre point de vue, nous admettons volontiers que ce champ d’action est vaste et complexe mais l’on peut procéder à une réhabilitation par une vraie remise à niveau des personnels, par la sensibilisation de la hiérarchie à l’urgence de la réforme, par le soin à apporter aux archives, par la réduction de la pléthore des organigrammes, par le retour aux valeurs du travail et d’assiduité et par l’application stricte des textes. L’administration dispose d’un éventail épouvantable de lois, de règlements, de dispositions, de notes de service, et de procédures mais qui restent plutôt sur le papier. N’oublions pas ce que disait déjà Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Deux volets symboliques mais non des moindres méritent être corrigés avant toute autre chose afin de réhabiliter l’image de l’administration au regard du citoyen : mettre fin à l’ère des « bureaux vides » et veiller à la polyvalence des personnels.
Cher Fouad, la tâche qui t’attend sera rude et difficile mais l’usager marocain attend beaucoup de cette mise à jour de notre administration, alors tes qualités de courage, de volonté, et d’obstination te seront essentielles. Tous nos vœux t’accompagnent.
Mustapha Jmahri et M’barek Bidaki
Administrateurs retraités
Un article fort intéressant riche en informations avec des propositions à mettre en oeuvre pour une vraie réforme de notre administration publique…Nos deux amis auteurs de cet article ont un parcours riche, d’oû la pertinence de leurs propositions.
Ils ont parlé du « soin à apporter aux archives », u,e phrase qui m’a interpellé en tant qu’archiviste ayant eu l’honneur et le bonheur d’organiser et de gérer les archives d’une administration publique qui se respecte pendant une douzaine d’années, une expérience dont je suis fier, car pour moi c’était une autre formation qui est venue enrichir ma formation académique….
On dit dans notre jargon d’archivistes que les archives sont un mal nécessaire….et une administration sans archives est une administration sans âme.