William Tillet un jdidi à la tête de la prud’homie des patrons-pêcheurs de Martigues
Par Mustapha Jmahri (écrivain)
William Tillet est un authentique mazaganais né dans cette ville en 1945. Son grand-père, arrivé à El Jadida en 1913, détenait le premier et célèbre magasin d’électroménager dit Etablissement Benet. Ce commerce, sis juste en face des Services Municipaux (actuel 2ème arrondissement urbain), n’était ainsi qu’à quelques mètres du port et de la plage. L’enfant William a donc connu la mer très tôt.
– « J’étais toujours dans l’eau où j’ai passé une cinquantaine d’années de ma vie » m’a-t-il dit lui-même, lors de notre rencontre, en ce début d’avril 2016, chez lui dans le village paisible de Carro appartenant à la commune de Martigues.
Aujourd’hui, William est un notable connu et respecté dans sa localité. Il est premier prud’homme, président de la chambre des patrons-pêcheurs de Martigues depuis plus de 24 ans. Il continue toujours de travailler sur son petit bateau de pêche et d’alimenter le marché de Carro en oursins, thons rouges, anguilles et autre corail rouge en plongée. Il a aussi créé une école pour la formation de jeunes marins à Martigues. Certains des 250 apprentis-marins de cette école sont issus de l’immigration maghrébine. Pour ses services, il a obtenu la médaille de chevalier dans l’ordre du Mérite national maritime et la médaille d’officier.
William se rappelle, avec une vive émotion, ses années passées à El Jadida où il a appris la natation avec le célèbre maître-nageur Larbi Bousselham. Il allait ensuite à la jetée du port et à la plage pour dénicher les raies torpides qui abondaient sous le sable et qui lui ont laissé le souvenir inoubliable de leur décharge électrique.
Autour d’un repas de poisson admirablement préparé par son épouse Christiane et en présence de sa fille Kathy et de sa petite-fille, la belle Julia, William m’a raconté à bâtons rompus ce qu’est pour lui « le bonheur de la mer ». Ce bonheur nait de cette immensité bleue qui a lié les peuples depuis l’Antiquité et qui apprend à l’homme à préférer la simplicité et la modestie plutôt que l’arrogance et l’indifférence.
William m’a expliqué qu’en Méditerranée il existe 18 prud’homies de pêche dont celle de Martigues est la plus importante par le nombre de bateaux et de pêcheurs. Martigues compte 400 marins alors qu’en Méditerranée ils sont 1.800 au total. La France dans son ensemble compte 24.000 marins. C’est la prud’homie qui est chargée de régler les affaires concernant la pêche artisanale. Chaque bateau est titulaire d’un PME (Permis de mise en exploitation) délivré par le service des Affaires maritimes.
Ce service contrôle les quantités de poisson pêché ainsi que les espèces capturées afin de respecter la réglementation européenne. A ce propos, William souligne que ces dernières années, environ 40% de bateaux de pêche artisanale ont disparu à cause des restrictions réglementaires, de la concurrence des bateaux japonais, russes et autres et des multiples charges financières à supporter. D’autant plus, ajoute-il, que chaque bateau est frappé annuellement, en moyenne, d’une dizaine de procès. Selon William, « cette réglementation très stricte suivie à la lettre par les pêcheurs en France ne sert à rien puisqu’elle n’est pas respectée dans d’autres pays. En Algérie, par exemple, explique-t-il, la pêche au thon s’effectue avec des filets dérivant qui sont interdits en Europe ».
Pour montrer concrètement que la pêche en Méditerranée doit être l’affaire de tous les pays, William donne l’exemple de la pêche des oursins (on en était d’ailleurs en pleine période, ouverte du 1er novembre au 15 avril). Il explique que : « Pour les oursins pêchés dans les eaux de Martigues, par exemple, il faut savoir que leurs larves ont mis des semaines pour arriver du Maroc ou d’un autre pays : il est donc primordial d’observer les mêmes règles dans tous les pays si on veut vraiment aboutir à un résultat positif ».
Pour ce qui est des relations bilatérales entre les ports de Martigues et le Maroc, une délégation marocaine de pêcheurs et de fonctionnaires du ministère de tutelle, avait visité, en 2013, le port de Carro considéré comme le plus grand port de pêche de la région Paca. Cette délégation était venue s’informer sur la zone de réserve maritime, c’est-à-dire le parc marin de la côte bleue cogéré avec la pêche professionnelle depuis plus de 30 ans et comprenant deux réserves intégrales interdites à tous types de pêche. Le but était de profiter de cette expérience pour la reproduire. Seul bémol : il n’y a pas eu, de la part des Marocains, de suite ni d’échanges après cette visite.
Notre rencontre, qui s’est prolongée le weekend, chez l’ami William et Christiane Tillet s’est terminée, à merveille, par une visite de la Côte Bleue, littoral de 22 km allant de la pointe de Carro jusqu’à Marseille. Au long de ce littoral, nous avons admiré tout un ensemble bien préservé de petits ports, de calanques, d’anses, de viaducs, de stations balnéaires jusqu’à l’étang de Berre.
Le moment des adieux arriva. William eut la gentillesse de nous emmener, mon épouse et moi, jusqu’à la gare ferroviaire Marseille Saint-Charles. Nous avions pris la route de bonne heure ce qui nous a permis de contempler une fois encore dans la douceur matinale ce paysage étincelant de lumières qui perçaient l’obscurité ambiante. Par bonheur le tronçon menant à la gare, d’ordinaire très encombré, était dégagé ce jour-là. Durant tout le trajet, William ne cessait de me montrer son attachement à sa ville natale, El Jadida, où, d’ailleurs, son arrière-grand-père et sa grand-mère reposent au cimetière chrétien.
Dans le train qui nous a emmenés vers Paris en ce frais matin d’avril, je rappelais à mon épouse les belles images de Carro avec la famille Tillet et je pensais qu’au-delà des frontières, des nationalités et des religions, les hommes et les femmes de bonne volonté sont capables de défendre les principes universels de solidarité, de fraternité et d’amitié.