l’histoire de Mazagan à travers son patrimoine
Il était une fois Mazighane une ville portuaire. I- Du port Rutubis à Marsa Mazighane
Par : J. Derif.
Tracer l’histoire d’un site ne peut se faire que d’après l’étude de sa structure, ses environs et ses ressources. .. sans oublier de chercher à comprendre ses dénominations successives.. Au 1er siècle du calendrier grégorien Pline l’ancien (23 à 79 après J.C), écrivain et naturaliste romain,nous rapporte d’après le périple de Polype (IIème siècle avant J.C), des données sur les situations réciproques de l’embouchure de l’Anatis (Oum Er-Rbia) et du port Rutubis par rapport à Lixus (Larache) dont on peut en déduire que le port Rutubis se trouve à 8000 passus au sud de l’Anatis, soit 8 milles romains qui correspondent à 11km 840m. Certains auteurs admettent que le port Rutubis correspond à Rusubis, nom cité par le géographe Grec Ptolémée d’Alexandrie au II ème siècle après J.C.
À partir du XIVème siècle le Rutubis sera désigné sur les portulans et les planisphères établis par des cartographes et géographes Portugais, Espagnols et Itatiens sous les toponymes : Mazagra; Mezegan; Mezegam; Magazam; Magazem; Mazacan; Mazagam; Maizagam; marzagam…; tous ces toponymes semblent être une transformation ou déformation du toponyme Mazighane مازيغن cité par le géographe arabe Charif Al Idrissi au milieu du XII ème siècle.
D’Anfa (Casablanca) à Marsa Mazighane, dit Al Idrissi, il y a 65 milles (soit 96, km en ligne droite), …. et du Marsa Mazighane à Assafi (Safi), en ligne directe 85 milles (≈126km) et en ligne oblique 130 milles (≈192km suivant la côte atlantique).
Le géographe portugais Duarete Pacheco Pereira qui, sous les ordres du Roi Emanuel, a exploré les côtes atlantiques marocaines à la fin du XVème siècle nous a laissé une description assez claire sur la région de Mazagan: «la seconde partie du Royaume de Fes commence à la rivière d’Azemmour, dont la baie de Mazaguam (Mazagan) se trouve à deux lieues; entre ces deux points la côte court suivant la direction Nord-Est/Sud-Ouest, et la distance par la mer est de deux lieues… »
Aux XVème et XVIème siècles, une lieue portugaise correspondait à 5920 mètres, d’où on peut déduire que Marsa Mazagan (Mazighane) se trouve à 11 km 840m de l’embouchure de l’Oum Er-Rbia, donc au même emplacement que le Portus Rutubis cité par Polybe.
Marsa Mazighane un Havre célèbre.
« Cette anse est un port pour les grands navires, dit Pacheco Pereira , et celui qui veut s’ y arrêter doit bien fixer son amarre…»
Un ensemble de critères font de la baie de Mazighane un havre des plus sûrs du littoral atlantique marocain:
– le cap de Mazagan s’avance très loin dans la mer vers le nord donnant des hauts fonds et protège ainsi la baie des vents forts de l’ouest et des grandes tempêtes et houles.
-le mouillage dans la baie abritée est facilement accessible pour les navires d’un fort tirant, la profondeur d’eau de 6 à 10m est proche de la terre ferme et les fonds sablonneux contribuent à une excellente tenue.
Depuis la période des grands navigateurs phéniciens et romains, la célébrité de Mazighane (ex. Rutubis) était liée à son arrière pays où hiterland. Au temps de la dynastie des Morabitines le juriste Cadi Ayad, désigné juge à Sebta (Ceuta) entre 515 et 531H/1121-1136 J.C puis en 539H/ 1144 J.C, nous rapporte que parmi trois affaires juridiques qu’il a traité il y avait l’affaire d’un conflit entre trois personnages sur une charge de blé transportée sur un navire de Mazighane à Sebta (Ceuta). Ibn Saïd Al Gharnati connu sous Ibn Saïd Al-maghribi (1214-1286 J.C) qualifie Mazighane مازغان de port célèbre, d’où les navires chargent le blé vers Sebta et d’autres lieux. Quant à Pacheco Pereira qui a exploré la région à la fin du XV ème Siècle il cite qu’ «À partir de cette anse commence la campagne de Duquella [Doukkala], qui s’étend sur près de quarante lieues, pays extrêmement riche en blé et en viande. Et dans cette baie de Mazagan, beaucoup de bateaux de ces royaumes, ainsi que de Castille, viennent charger du blé, lorsque Dieu, pour nos péchés, ne nous en donne pas. Cette campagne est occupée par les Arabes d’une nation qu’on appelle Xarquya [Charquiya ou Ouled Frej] et qui compte, affirme-t-on, plus de quarante mille cavaliers; mais ils sont tous désarmés».
La structure de l’arrière pays de Mazighane est caractérisée par la succession de plaines très fertiles nommées par la population locale fayde l’mâachate, fahse Ouled Hsine, fahse Ouled Douib, fahse zemmouriyine ou l’Adir. Ces plaines correspondent aux aplanissement des anciens golfs de Mazagan qui s’ étendent à plus de quarante kilomètres à l’intérieur du pays.
A suivre.