Mot de Mr le Président de l’université Chouaib Doukkali lors de la cérémonie de remise du Doctorat Honorifique à MR MARIO SOIRESS
Discours prononcé par le Président de l’Université Chouaib Doukkali,à l’occasion de la Remise du Diplôme Honoris Causa
A Monsieur Mario Soares, ex-Président du Portugal
Mesdames et Messieurs,
L’Université Chouaib Doukkali est honorée de décerner le titre de Doctorat Honoris Causa au Président Mario Soares en reconnaissance de son parcours et des services qu’il a rendus à son pays, à notre région, à l’Afrique et au monde entier. En mon nom personnel, au nom de toutes les instances légales de l’Université, au nom de tous ses personnels et de tous ses étudiants, j’ai l’honneur et le plaisir d’attester qu’à partir de cet instant mémorable Monsieur Mario Soares est inscrit sur les tablettes de l’université comme une personnalité qui a bien voulu lier son nom à celui de l’Université Chouaib Doukkali. A partir de maintenant et jusqu’à la prochaine soutenance de Doctorat, il est le plus jeune Docteur de notre Université et le plus prestigieux. Je sais que ce titre est le quarante-et-unième de sa longue carrière. Il n’est peut-être pas le plus glorieux mais, à coup sûr, c’est le plus cher à son cœur comme il me l’a lui-même affirmé. Ce titre est pour notre Université la confirmation de l’adhésion aux valeurs de loyauté, de courage et de liberté que Monsieur Soares a toujours défendus. Il est pour les jeunes générations, l’exemple du refus de la fatalité, de la persévérance et de la tolérance dont il a toujours fait preuve. Il est symbolique, pour nous, de la réconciliation apaisée et tournée vers l’avenir des destins de nos deux pays. Les caprices de la géographie ont lié le Portugal et le Maroc à jamais si l’on considère que l’étendue de mer qui les sépare est loin de constituer une barrière infranchissable mais plutôt une voie d’échange d’accès facile. En tous les cas, elle n’a pu éviter ni l’influence mutuelle des deux nations, ni leur cohabitation durant de longues périodes de l’histoire, ni même les catastrophes naturelles. En l’occurrence, le terrible tremblement de terre de 1755 et le tsunami qui l’a suivi n’ont pas fait de différence entre Lisbonne et Mazagan.
Notre histoire commune est loin d’être monotone; elle a connu, aussi bien, des moments de confrontations que de longues périodes de bon voisinage et d’échange fructueux. De ces différentes périodes nous avons acquis la conviction du destin commun et forgé une vision pour les générations à venir basée sur la paix, le dialogue et la tolérance. Nous avons pris conscience que l’avenir de notre région ne se construira pas sur la méfiance et l’adversité mais sur des projets de développement complémentaires faisant de nos différences une force de construction plutôt qu’un objet de discorde et de confrontation. La Science du passé est le meilleur usage pour l’avenir, dit l’adage. Notre patrimoine commun témoigne de la façon la plus éclatante de la richesse de ce passé. Il suffit, pour s’en convaincre, de déambuler dans les ruelles d’Albufeira (nom provenant du mot arabe : Al Bouhaira), de Mertola, d’Assila ou d’Eljadida. Les odeurs, les saveurs, les noms des lieux et des personnes, l’habillement, les intonations…tout nous rappelle avec insistance la fécondité de la rencontre entre deux cultures et deux traditions. Nulle part ailleurs que dans la ville d’Eljadida ce patrimoine commun n’est aussi emblématique du génie créateur rendu possible par une cohabitation pacifique et par un dialogue interculturel permanent entre nos deux peuples. L’Unesco ne s’est pas trempé en jugeant ce patrimoine digne d’être protégé des aléas et des conjonctures. Monsieur Mario Soares a été associé, tout naturellement, à cet événement historique survenu en 2004.
Mesdames et Messieurs
Le parcours de Monsieur Mario Soares est pour nous un exemple d’intellectuel et d’homme d’état engagé dans la lutte pour la liberté et dans la construction de la démocratie et du développement de son pays. Il est né en 1924 à Lisbonne et il’est diplômé d’histoire, de philosophie et de droit de l’Université de la même ville. Il s’engage très jeune dans la lutte pour la liberté de son peuple qui a vécu les affres de la dictature et de l’asservissement. Dès son jeune âge, il a intégré les mouvements de protestation étudiants. A vingt ans il a rejoint le mouvement d’unité nationale antifasciste. Ses qualités de leader et d’unificateur sont apparues dès cette époque là. En effet, en 1946, il a fondé le mouvement d’unité démocratique de protestation contre le régime dictatorial d’Antonio Salazar. Il a organisé les mouvements d’étudiants de façon à semer la graine chez les jeunes générations de l’amour de la liberté et du sacrifice pour les idéaux auxquels on croit. Cela n’a pas été facile, car le propre des régimes dictatoriaux c’est de réprimer dans l’œuf les aspirations à la liberté et d’étouffer les velléités de l’esprit critique chez les jeunes.
Il y est pourtant parvenu grâce à sa persévérance et à son abnégation. Il a connu les ténèbres de l’incarcération et de l’emprisonnement à douze reprises. Au lieu de le dissuader, cela lui a servi à conjurer et à chasser le doute et l’hésitation.
Ces épreuves douloureuses ont renforcé sa conviction et son engagement. Et comme il arrive souvent dans ces cas là, la peur a changé de camps : le régime dictatorial paniqué par sa force de caractère et reconnaissant en lui un futur opposant politique opiniâtre et intransigeant a décidé de l’exiler sans autre forme de procès vers l’ile de Sao Tomé puis en France entre 1970 et 1974.
En France, il est Professeur aux Universités de Vincennes et Renne et à la Sorbonne.
Ses charges professionnelles à l’Universitaire ne lui ont pas fait oublier sa mission politique. C’est ainsi qu’il crée, en 1973, le Parti Socialiste Portugais, parti dont il devient Secrétaire Général.
Grace à sa lutte et celle de milliers de jeunes portugais, le soleil de la Liberté a illuminé le ciel du Portugal, le jeudi 25 avril 1974. Le régime dictatorial est déposé aux premières heures de cette matinée ensoleillée. Cette révolution, qui a sorti le Portugal d’un demi-siècle de dictature, est appelée révolution des œillets sans doute pour spécifier son caractère pacifique. En effet, ce matin là les portugais assoiffés de liberté sont descendus dans les rues pour fraterniser avec l’armée. L’œillet dans la boutonnière a été le signe de ralliement à la révolution. Il était tout naturel, pour les nouvelles autorités du pays de s’adresser à Monsieur Mario Soares pour bâtir le nouveau Portugal sur la base de la Liberté et de la Démocratie. C’est ainsi qu’il a été nommé Ministre des Affaires étrangères à plusieurs reprises et à ce titre il a conduit avec doigté les négociations d’adhésion du Portugal à l’Union européenne et signé le traité d’adhésion en juin 1985. Il est, depuis lors, considéré comme l’un des artisans de la constitution de l’Union européenne. Il a été Premier Ministre, à plusieurs reprises entre 1976 et 1985, puis le peuple portugais l’a élu à la fonction suprême du Président du Portugal à deux reprises entre 1986 et 1996.
L’Afrique retiendra l’action décisive de Monsieur Mario Soares pour l’indépendance des colonies portugaises. Il a tenu, en effet, à mener lui même les négociations pour l’indépendance de l’Angola, du Mozambique et du Cap Vert. Les peuples de ces pays lui seront à jamais reconnaissants.
Dans le contexte des relations entre le Maroc et le Portugal son rôle est également déterminant. En effet, à l’avènement de la révolution des œillets, les relations diplomatiques entre le Maroc et le Portugal sont rompues. Elles sont rétablies, quelques mois plus tard, le 8 juin 1974. Le Président Mario Soares effectue une visite officielle au Maroc en tant que Président du Portugal en 1990. Lors de ma rencontre avec lui, à Lisbonne, au mois de février dernier, il m’a rappelé le contexte très amical dans lequel il avait reçu, à Lisbonne, Feu Hassan II Roi du Maroc au mois de mai 1992. Un traité de bon voisinage est signé entre les deux pays le 30 mai 1994. Depuis lors, les relations économiques, politiques et culturelles entre le Portugal et le Maroc n’ont cessé de se développer.
Depuis son retrait de la vie politique portugaise Monsieur Mario Soares consacre son temps à la défense des droits de l’homme et des libertés. Il a crée, pour cela, une Fondation qui porte son nom et il contribue au débat d’idées à travers des articles dans des revues prestigieuses et des conférences données aux quatre coins du monde.
Ce nouveau combat qu’il mène pour l’instauration de la culture des droits humains et des libertés individuelles et collectives trouve une résonnance particulière dans la région de la Méditerranée qui est traversée par une aspiration sans précédent à la liberté et à la démocratie. Les peuples de cette région, qui a vu naitre les grands courants de pensée de l’humanité, sont en passe de reprendre la main pour façonner un avenir meilleur. Cela ne s’avère pas toujours facile. Dans le feu de l’action, il n’est pas aisé de percevoir les chemins les plus courts qui mènent à la liberté. L’exemple du combat de Monsieur Mario Soares, de son expérience et de son parcours peut-être, pour les générations porteuses de cet espoir, une source d’inspiration et un éclairage précieux.
Les espoirs de la région reposent sur les jeunes dont une part importante se trouve dans nos Universités grâce à la démocratisation de l’accès à l’éducation. Notre responsabilité, en tant qu’universitaire, est donc engagée pour faire en sorte que le milieu universitaire soit un lieu de dialogue pacifique et tolérant. Il est important de démonter, chez les jeunes, les mécanismes dévastateurs de la violence et de l’enfermement. Il est important de contrecarrer les discours de rejet de l’autre et de l’intolérance. Il est important de démontrer le caractère fallacieux et dangereux pour la paix dans le monde des courants de pensées qui prônent la confrontation des civilisations comme une fatalité imposée par un prétendu sens de l’histoire. Plus que jamais nos universités sont interpelées pour réhabiliter les valeurs d’universalité, de rationalité et d’humanisme dans leurs pratiques pédagogiques. Plus que jamais, nous devons combattre l’exclusion, et réhabiliter la responsabilité, le partage et la collaboration. Cela ne peut se faire que par un travail pédagogique patient et persévérant.
Monsieur l’ambassadeur,
Votre présence parmi nous aujourd’hui est un gage de reconnaissance pour le rôle primordial joué par Monsieur Mario Soares dans la consécration de toutes ces valeurs. Ces valeurs, nous les partageons avec lui et nous souhaitons que le titre qui lui est octroyé en soit l’événement démonstratif. Nous ferons en sorte que son message de paix, de dialogue et de liberté soit audible auprès des étudiants de notre université par l’intermédiaire de notre comportement et de nos actions.
Pour concrétiser cet engagement permettez-moi, Monsieur l’Ambassadeur, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, de vous remettre le diplôme de Docteur Honoris Causa que l’Université Chouaib Doukkali octroie au Président Mario Soares en vous demandant de bien vouloir le lui remettre ainsi que l’emblème de l’Université. Transmettez lui aussi nos vœux de prompte rétablissement et notre invitation à venir à l’Université dès que son état de santé le permettra.