Mawazine : hypocrisie et démagogie By : la Nlle Tribune
C’est un fait, des Marocains sont contre le festival Mawazine. De la même manière que des milliers de Français continuent de manifester contre la loi sur le mariage pour tous alors même que celle-ci a été votée par le Parlement. Les plus positifs y verront un exercice démocratique tant le débat est virulent entre pro et anti Mawazine. Les plus négatifs y voient un conflit de morale et de mœurs. Finalement, que chacun s’exprime sur la tenue de ce festival ne peut être que bénéfique, pourvu que les arguments des uns et des autres nous permettent d’avancer dans le bon sens.
Or, ce n’est pas le cas, les arguments des uns se fracassent contre ceux des autres. D’un côté, Jessie J en « slip », les étudiants et bacheliers qui ne réviseront pas correctement leurs examens, le financement du festival qui pourrait servir des projets sociaux et structurants pour le pays…
De l’autre, une indispensable ouverture à la culture, une visibilité inégalable à l’international pour le pays et un financement assuré par des fonds privés. D’ailleurs, le Maroc n’a pas attendu l’organisation de Mawazine pour voir ses bacheliers rater leur premier diplôme, de même que les Marocains qui ont accès à des centaines de chaines satellitaires n’en sont pas à leur première star à la tenue extravagante.
En outre, il suffit d’être sur place pendant le déroulement du festival pour constater qu’il y a autant de jeunes défavorisés qui n’auraient pas les moyens de s’offrir ces concerts que de jeunes privilégiés bénéficiant des « pass » de leurs parents…
On y trouve aussi des familles, des petites filles sur les épaules de leurs pères qui filment la prestation de Rihanna et cela, malgré le fait que la mère porte le voile. Pour ceux qui pratiquent la religion musulmane, comme l’écrasante majorité de nos concitoyens, ce n’est pas un concert d’une star internationale qui les déviera du droit chemin et surtout, c’est une décision qu’ils peuvent prendre seuls, sans intervention de censeurs ou de moralisateurs publics.
La démagogie et l’hypocrisie ne devraient pas avoir droit de cité en cette affaire ! Pourquoi attendre le lancement du festival pour organiser une campagne médiatique virulente ?
Où étaient les opposants et les Tartuffe depuis la fin de l’édition précédente ?
Comment se fait-il que l’on arrête de parler des enjeux de fond pour notre pays que sont la réforme de la compensation, de la fiscalité, des retraites, de la santé, de l’éducation, de la justice au profit d’un débat stérile sur un festival en cours ? (Sans compter que tous les autres festivals qui fonctionnent sur les mêmes principes sont épargnés).
Enfin et surtout, pourquoi nos censeurs ne font-ils pas preuve de la même implication et virulence pour dénoncer les tares que l’on observe au quotidien ? Puisqu’on évoque souvent la religion, un bon musulman, riche ou pauvre, peut-il se comporter en voiture comme on le voit tous les jours ? Brulant les feux, grillant les priorités ?
Combien de Marocains s’acquittent également de leurs devoirs de citoyenneté auprès des impôts ? Où sont les défenseurs de la morale quand des jeunes filles pour ne pas dire des enfants sont violées et maltraitées ? Que font ces thuriféraires de la morale rigoriste pour divertir et sortir d’un quotidien sans espoir notre jeunesse si nombreuse ?
Que Mawazine ait lieu ou pas, qu’il soit financé par l’Etat ou des entreprises privées, qui garderaient leur argent si on ne leur demandait pas d’y contribuer, notre pays doit avancer sur d’autres critères.
Le défi de la démocratie naissante marocaine est la citoyenneté et non pas la moralisation forcée de la société au noms de valeurs qui ferment la porte à la tolérance, la joie, l’ouverture sur le monde.
Comme le chantaient Nass El Ghiwane, il y a plus de 40 ans : « qu’on nous laisse vivre notre vie et faire nos comptes avec Dieu ».
la Nouvelle Tribune