POUR UN RAPPORT SEREIN AUX LANGUES
Par : A. Benhima-_-_
Au Maroc, notre rapport aux langues est ambigu et conflictuel. Cette conduite est dictée par une injonction idéologique selon laquelle toute langue étrangère est un danger.
C’est ainsi que la querelle arabe/français, tantôt vive et violente, tantôt atténuée et douce a duré jusqu’au jour où l’injonction économique a imposé sa logique et a apaisé le jeu. La dispute arabe/amazigh a alors pris la relève jusqu’au jour où la constitution a promu le berbère au rang de langue officielle. Un nouveau heurt a alors surgi, cette fois-ci, entre l’arabe et le darija sur le terrain pédagogique.
Cette succession d’affrontements linguistiques a affaibli notre système éducatif qui ne dispose plus d’aucun outil de communication constant et fiable pour l’apprentissage. Il recourt, aujourd’hui, à un bricolage phonétique, lexical et syntaxique qui défigure trois langues et massacre des générations d’apprenants.
Cette situation me paraît dangereuse, incompréhensible et inadmissible pour plusieurs raisons. D’abord, ceux qui ont préconisé le rejet de la langue étrangère ont fait tout le contraire. Ils l’ont adoptée pour leur progéniture et en tirent plusieurs profits. Ensuite, il n’est dit nulle part que les langues sont exclusives et qu’il faille se défaire de sa propre langue pour en apprendre une autre ou mêmes plusieurs autres. Il n’est écrit nulle part qu’il faille renoncer à sa culture ou la dénigrer pour en découvrir et apprendre une autre. Enfin, s’il est vrai que les cultures œuvrent, à travers leurs langues respectives, afin de rayonner le plus loin possible pour des motifs politiques, culturels et économiques, rien ne nous dispense de promouvoir des politiques éducatives qui concilient ouverture sur le monde et protection des acquis et valeurs propres. La stratégie de la rétraction, quel qu’en soit le prétexte, débouche fatalement sur l’isolement et sur l’extinction.